Note historique
Dans ce livre, seuls deux épisodes sont inventés : l’attaque sur Hookton, au début – bien que les Français aient réellement effectué de telles incursions sur les côtes anglaises –, et le combat des chevaliers de sir Simon Jekyll contre les soldats de messire Geoffroi de Pont-Blanc devant La Roche-Derrien. Hormis cela, tous les sièges, batailles et escarmouches sont tirés de l’histoire, tout comme la mort de Geoffroi à Lannion. La Roche-Derrien a été prise par escalade plutôt que par une attaque du côté de la mer, mais je voulais donner à Thomas l’occasion de s’employer, aussi ai-je pris certaines libertés avec les entreprises du comte de Northampton. Celui-ci a effectué tout ce que le roman lui attribue : la prise de La Roche-Derrien, la traversée de la Somme au gué de Blanchetaque, ainsi que ses exploits à la bataille de Crécy. La prise et le sac de Caen se sont déroulés d’une manière proche de celle décrite dans le livre, tout comme la célèbre bataille de Crécy. Pour le dire brièvement, cette période de l’histoire, considérée aujourd’hui comme le début de la guerre de Cent Ans, fut horrible.
Lorsque j’ai commencé à me documenter, je pensais que je m’intéresserais davantage à l’idéal chevaleresque, à la courtoisie et à la galanterie. Cela a bien dû exister, mais pas sur les champs de bataille, où régnait une brutalité impitoyable. L’épigraphe du livre, une citation du roi de France Jean le Bon, sert de correctif : « car par lesdictes guerres sont maintes foiz avenues batailles mortelles, occisions de genzy pillement d’églises, destructions de corps et péril de âmes, déflorations de pucelles et de vierges, deshonestations de femmes mariées et vefves, arsures de villes, de manoirs et édifices, roberies et oppressions, guétemenz de voyes et de chemins ». Ces mots, écrits quatorze ans environ après la bataille de Crécy, expliquent pourquoi le roi abandonne aux Anglais presque un tiers du territoire de la France. L’humiliation était préférable à la poursuite d’un état de guerre aussi atroce.
Les grandes batailles comme celle de Crécy furent relativement rares au cours du long conflit anglo-français, peut-être en raison de leur caractère très meurtrier, bien que, dans le cas de Crécy, ce soient les Français et non les Anglais qui aient eu un nombre élevé de morts. Il est difficile de dénombrer les pertes, mais du côté français elles s’élevèrent au moins à deux mille hommes (le chiffre réel s’approchant probablement de quatre mille). Il s’agissait surtout de chevaliers et d’hommes d’armes. Les pertes des Génois furent très élevées, et au moins la moitié fut causée par leur propre camp. Les pertes anglaises furent dérisoires, sans doute inférieures à une centaine d’hommes. Ce succès est dû principalement aux archers anglais, mais même quand les Français eurent traversé le rideau de flèches, leurs pertes furent importantes. Un cavalier qui s’était laissé distancer au cours de la charge et n’était plus protégé par les autres cavaliers devenait une proie facile pour les fantassins ; c’est ainsi que la cavalerie française fut décimée dans la mêlée. Après la bataille, lorsque les Français recherchèrent l’explication de leur défaite, ils accusèrent les Génois et, dans de nombreuses villes de France, des mercenaires génois furent massacrés. Mais la véritable erreur des Français fut d’attaquer précipitamment le samedi après-midi au lieu d’attendre le dimanche, ce qui leur aurait permis de mieux disposer leur armée. Puis, ayant décidé d’attaquer, ils le firent sans discipline, si bien que leur première vague de cavaliers partit trop loin et les restes de cette première charge firent obstacle à la seconde vague qui avait été mieux conduite.
La disposition des forces anglaises pendant la bataille a fait l’objet de nombreuses discussions, notamment en ce qui concerne l’emplacement des archers. La plupart des historiens les situent sur les ailes, mais j’ai plutôt suivi la suggestion de Robert Hardy en les disposant sur toute la ligne de bataille aussi bien que sur les ailes. Quand on aborde la question des arcs, des archers et de leurs exploits, on peut faire entièrement confiance à M. Hardy.
Au cours de cette guerre, les batailles furent rares, mais les chevauchées – expéditions destinées à ravager le territoire ennemi – furent une pratique habituelle. Il s’agissait d’une guerre économique, équivalent de nos modernes tapis de bombes. Les contemporains, décrivant la campagne française après le passage d’une chevauchée anglaise, remarquent que la France était « submergée et foulée aux pieds », qu’elle se trouvait « au bord de la ruine » et « tourmentée et ravagée par la guerre ». Il n’était plus question de chevalerie, il y avait peu de galanterie et moins encore de courtoisie. La France finirait par se redresser et chasser les Anglais, mais seulement après avoir appris à résister aux chevauchées et plus encore à affronter les archers anglais (et gallois).
Le terme « grand arc » n’apparaît pas dans le roman car il ne fut jamais employé au XIVe siècle. Pour la même raison, Edouard de Woodstock, le prince de Galles, n’est jamais appelé le Prince Noir, appellation plus tardive. L’arc était simplement un « arc » ou, peut-être, un « arc de guerre ». On a gaspillé beaucoup d’encre pour discuter de l’origine du grand arc. Était-il gallois ou anglais ? Était-ce une invention du Moyen Âge ou bien remontait-il au néolithique ? Le fait notable, c’est que dans les années qui ont précédé la guerre de Cent Ans, il est apparu comme une arme de guerre décisive. Ce qui le rendait si efficace, c’était le nombre d’archers que pouvait comprendre une troupe. Un ou deux grands arcs pouvaient causer des dommages, des milliers pouvaient anéantir une armée et, en Europe, seuls les Anglais étaient capables d’en rassembler un tel nombre. Pourquoi ? Du point de vue technique, l’arc était on ne peut plus simple ; cependant les autres pays n’avaient pas d’archers. Une partie de la réponse tient probablement à la grande difficulté qu’il y avait à devenir un très bon archer. Cela exigeait des années de pratique quotidienne, et l’habitude de s’entraîner n’était répandue que dans quelques régions d’Angleterre et du pays de Galles. En Bretagne, de bons archers ont certainement existé depuis le néolithique (des arcs en if, aussi longs que ceux utilisés à la bataille de Crécy, ont été retrouvés dans des tombes néolithiques), mais ils devaient être peu nombreux. Pour une raison ou une autre, il se trouve que, au Moyen Âge, le tir à l’arc a suscité l’enthousiasme dans certaines parties de l’Angleterre et du pays de Galles et c’est ainsi que le grand arc est devenu une arme de guerre largement utilisée. Lorsque cet enthousiasme a décliné, l’arc a rapidement disparu de l’arsenal anglais. Le bon sens populaire prétend que l’arc fut remplacé par le fusil, mais il est plus juste de dire que l’arc a reculé malgré le fusil. Benjamin Franklin, esprit perspicace, pensait que les Américains auraient gagné plus tôt leur guerre d’indépendance s’ils avaient eu recours au grand arc, et il est certain qu’un bataillon d’archers l’aurait facilement emporté sur les soldats de Wellington armés de mousquets à canon lisse. Mais il est beaucoup plus facile d’apprendre à se servir d’un fusil ou d’une arbalète que d’un arc. En bref, le grand arc fut un phénomène à part, sans doute causé par l’engouement pour le tir à l’arc et transformé en arme de guerre décisive par les rois d’Angleterre. Il contribua aussi à élever le statut du fantassin puisque même le gentilhomme le plus borné pouvait comprendre combien sa vie dépendait des archers, aussi n’est-il pas surprenant que les archers soient devenus plus nombreux que les hommes d’armes dans l’armée anglaise de l’époque.
Il me faut signaler la dette énorme que j’ai envers Jonathan Sumption, auteur de Trial by Battle, the Hundred Years War, volume I. Il est suprêmement humiliant pour un écrivain professionnel de voir un juriste écrire des livres aussi remarquables pendant ce que je suppose être ses moments perdus. Mais je lui en suis reconnaissant et je recommande ses travaux historiques à quiconque désire en savoir plus sur cette période. S’il reste des erreurs, j’en suis le seul responsable.